De Carcès à Seillans, l’amour de la terre et du vin en héritage

On y plonge la main en araignée, on serre les doigts et l’on fait glisser, poing serré, l’amalgame sacré qui coule comme une pluie d’étoiles sèches et caillouteuses.

Et là, s’opère une sorte de transmutation de la chair au cerveau, puis au réseau sanguin. À ce moment précis et indicible, la terre coule dans les veines et des amours folles s’ensuivent avec, au fil du temps, d’heureuses destinées ou de terribles désillusions. Mais il faut continuer, courber l’échine ou tenir la tête haute, avec l’opiniâtreté paysanne. Conserver un héritage dont la valeur n’est pas tant notariale que sentimentale et maternelle.

Laissons en dehors des sillons ceux qui investissent entre labours et garrigue pour de simples raisons économiques. Ou d’autres qui se payent une marotte et revêtent les apparats du gentleman-farmer pour se donner l’illusion d’appartenir à un monde qui ne sera jamais vraiment le leur. Bien qu’ils soient une formidable carte postale pour l’agriculture locale.

La terre, c’est une addiction, parfois incompréhensible. Quand un chargé de commandes robotisé chez Amazon gagne souvent plus qu’un esclave de ses parcelles et/ou de ses bêtes, qui a fini de compter ses heures depuis des lustres, mais saisit d’une main fébrile son portable pour répondre à des banquiers et fournisseurs, peu attentifs au prix de la sueur. Fi de Germinal, nous avons souhaité donner le verbe à des familles qui, depuis plusieurs générations, se transmettent le virus du labeur, au nom d’une sorte de code de l’honneur, imposant que le travail des anciens ne restât pas lettre morte.

Ils sont encore nombreux, dans le Var, à avoir échappé aux dérives économiques, aux appétits des liasses de 500, ou à s’être dépêtrés des inéluctables querelles successorales, pour éviter de morceler le fruit de décennies d’un travail acharné et ancestral.

Le poids de la famille

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Comme bien d’autres, au Château Sainte-Croix, à Carcès, la famille Pelepol se transmet les vignes cultivées avec courage et passion par les ancêtres. Photo Gilbert Rinaudo .

Les dépositaires de ces arpents, gagnés sous un impitoyable et salutaire soleil, ont un impératif catégorique kantien sur les épaules : développer leurs domaines et supporter le poids de la généalogie.

Car trahir les morts, c’est se condamner à une perpétuité jalonnée de la culpabilité de n’avoir pas su être à la hauteur. Et ruminer cette sorte de honte de n’avoir pas tout à fait sa place dans le caveau où reposent des anciens, aux os traumatisés par cette satanée terre vivrière, si basse mais résolument promise.

Quoi qu’il en coûte… C’est pourquoi, sans jamais pénétrer dans les arcanes des secrets familiaux, ce qui est illusoire, nous sommes allés à la rencontre de ces communautés de sang dont l’ADN puise ses racines dans le temps. De belles ou tragiques histoires, il y en a à la pelle comme à la pioche. On a ainsi creusé au hasard. Sans trouver de pétrole, mais des « gens bien », accueillants, humbles et pragmatiques. Faute de ne plus courir les rues, ça peuple encore les campagnes…

Seillans: les Selves coulent dans les veines des Christine

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Quatrième génération chez les Christine au Château des Selves à Seillans. De gauche à droite : Marceau, Mireille, Martial et Mylène. Photo Gilbert Rinaudo .

On a beau être « parrainé », Marceau, le patriarche, l’intuition à fleur de peau, jauge d’abord son interlocuteur. Parce qu’il n’est pas question de laisser le premier quidam entrer dans les arcanes familiales. Quelques minutes d’observation et le « pass » sanitaire est obtenu. Ouf!

À l’écart du village, entre Seillans et Brovès-en-Seillans, la magnifique maison de maître se prolonge par une immense terrasse, en surplomb d’un océan végétal, camaïeu de verts domptés par l’homme ou laissés au bon vouloir des éléments. En fond de la carte postale se dessinent les rondeurs altières d’un terroir à la géologie complexe, à la croisée entre Maures, Estérel et Préalpes.

Sous l’ombre salvatrice des mûriers platanes, trois générations se côtoient et s’imbriquent à la fois (la première n’est plus de ce monde), suggérant en filigrane de longues veillées sur l’avenir du domaine, entre respect des traditions, concessions à la modernité et projets.

Des décennies de forçats

Aujourd’hui, Mylène Christine préside aux destinées de la vingtaine d’hectares de vignes (en AOC Côte de Provence et IGC) et du millier d’oliviers, avec son fils Martial (et deux ouvriers agricoles). Après ses études et quelques pérégrinations, ce dernier n’a pas résisté à l’appel de ses montagnes et est revenu au pays.

L’ici a logiquement dominé l’ailleurs. À leurs côtés, Marceau et Mireille demeurent discrètement gardiens du temps et les mains toujours disponibles. Le droit d’évoquer ses parents revient au premier, puisqu’ils furent les créateurs des Selves, au long de décennies d’un ouvrage de forçats forçant l’admiration.

« En 1946, mes parents, Marius et Antonia, ont acquis le foncier. Il n’y avait rien, sinon de la forêt. Pied à pied, ils ont défriché les terres pour y planter de la vigne. C’est à eux que le mérite revient, parce qu’il fallait aussi vivre en même temps », se souvient Marceau, naturellement embauché dans l’aventure titanesque. « Il fallait tout arracher, défoncer les sols, ce qui n’est pas facile au pied des contreforts des Alpes. On ne vivait pas, on était comme des journaliers. »

Et quand vient la passation des socs et sécateurs, le chemin de croix n’a pas livré toutes ses souffrances. « J’ai dû travailler ailleurs pour financer les investissements importants. Je n’aurais rien fait sans ma femme Mireille. Elle s’occupait de tout, montait sur le tracteur, gérait la comptabilité, la commercialisation. C’est une encyclopédie », lance Marceau, alors que chacun y va d’un hochement de tête approbateur. « En fait, je me suis fait avoir deux fois : salarié et chef d’exploitation », ironise-t-il.

La culture du développement

Il faut ainsi attendre le début des années 1980 pour passer du vin en vrac à une véritable cuvée, estampillée et embouteillée sur place. Puis vient une nouvelle orientation. La plantation d’un millier d’oliviers. « Même si l’olivier, faut l’aimer, mais pas en vivre », sourit Marceau.

La passation du trésor à la troisième génération se fait patiente et tranquille. A Mylène, en 2006, toujours présente sur le vignoble, mais qui a complété son expérience dans le milieu viticole (Groupe ICV). Et a dû se conformer à la dernière décision stratégique de son paternel: le transfert de la vinification à la cave de Saint-Romain à La Motte.

« Pressoir, cuve inox, groupe de froid (…) l’investissement était trop important car le matériel était obsolète », se justifie-t-il. Mais sa fille rassure : « nous avons des cuves dédiées et travaillons en synergie avec le caviste. C’est nous qui élevons le vin et prenons les décisions sur nos cuvées pour en conserver les spécificités. » 

La patronne y voit d’ailleurs une opportunité : transformer les espaces libérés en salle de réception, histoire de diversifier les activités, dans un lieu de rêve pour faire la fête. 

La musique des sols

Ingénieur spécialisé dans l’agronomie et l’agroalimentaire, Martial est intarissable sur son béguin pour le domaine, « où l’on fait plus bio que bio, parce que les produits ça coûte cher », comme le dit Marceau.

Un amour qu’il vit aussi comme un challenge face à des sols aux compositions différentes et sous l’influence d’un climat variable selon les secteurs. « On est en perpétuelle recherche, j’adore ça! Mais nous travaillons dans la continuité de mes grands-parents, sans rendements fous et avec l’objectif de cultiver notre identité. Sans oublier notre appartenance à la communauté du pays. »

Un message que partage pleinement Mylène: « Je fais tout pour que le domaine évolue. J’ai toujours envie de faire plus. Sans perdre de vue qu’il faut se serrer les coudes par les temps qui courent et qu’il faut soutenir le dynamisme agricole du Pays de Fayence. » Marius, Marceau, Mireille, Mylène, Martial, ils « M » les Selves comme cinq doigts de la main.


Château des Selves à Seillans, sur la RD53.
Tél. : 04.94.76.84.61.
Vente sur place tous les jours de 8 à 12 h et de 14 h à 18 h 30.
À noter que le domaine organise une « grande fête du rosé » le 14 juillet.

Sainte-Croix à Carcès, la gloire de nos pères

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Florence, Jacques et Stéphane une dynamique familiale soutenue par une « équipe formidable ». Photo Gilbert Rinaudo .

Parvenir au domaine de Sainte-Croix, c’est un peu comme un parcours initiatique. Au sortir de Carcès ou en venant du Thoronet, on tourne et vire sur une route aussi large qu’une charrette d’antan, quand les bêtes de trait et leurs lourds chargements ne se croisaient guère.

Et lorsque s’ouvre cette petite vallée en forme d’écrin, où la vigne bien alignée le rivalise avec la délicieuse anarchie de la forêt provençale, on sait qu’ici, à deux pas du fameux lac de Sainte-Suzanne, le bonheur n’est pas loin. Pas loin du volet que l’on laisse ouvert la nuit pour que s’y diffusent les chaleurs du jour ; pas loin d’un restaurant semi-gastronomique où le chef, et ami Rudy Tortora est revenu chez les siens après des gammes faites auprès de pianistes de prestige ; pas loin d’un vignoble et de ses trois couleurs qui racontent une légende des siècles.

La saga d’une famille de « pinardiers » devenus viticulteurs. L’histoire d’un clergé tout puissant et de moines cisterciens qui, dès le XIe siècle, bâtissent l’abbaye du Thoronet et érigent Sainte-Croix pour y demeurer durant les travaux, sur ces arpents fertiles arrosés par l’Argens.

La révolution passe et de grandes familles bourgeoises prennent possession des « campagnes » avec des centaines de métayers, ancêtres des serfs et des vilains, libérés, certes, mais soumis au bon vouloir de leurs maîtres. Les Pelepol en sont déjà.

Charmant et sagace, Stéphane Pelepol évoque quatre générations de besogneux, lui qui préside désormais aux destinées de l’affaire familiale avec sa sœur Florence. Mais Jacques, le père, alerte retraité, restitue au mieux un parcours séculaire dont Jules Pelepol a posé les premières pierres au XIXe siècle. Gestionnaire du domaine de la famille Lambaud, il est chargé de la disperser en lots, au moment où la fiscalité sur les terres rend les propriétés moins rentables. Il s’en réserve presque 4 hectares qu’il acquiert. « Malin comme un Pelepol », dit-on alors…

Fernand le visionnaire

Fernand prend la relève avec Marie-Louise et, rescapé des massacres de la Grande Guerre, il se mue en homme de terre et d’affaires visionnaire. Crée sa propre cave à Carcès, à l’époque où tous les vignerons apportaient leurs récoltes dans les pressoirs du village. Et se lance aussi dans le maraîchage. Cultivé et entreprenant dans l’âme, il décide de vendre son vin en vrac dans les Alpes-Maritimes qui n’en produisait pas, et ses légumes au pays de la fleur coupée, via un ami épicier basé à Biot. Il fallait alors trois heures et demie pour se rendre là-bas…

« Il élevait aussi des cochons. À l’époque, la vente d’une carcasse rapportait autant que le salaire annuel d’un ouvrier agricole sur le domaine, se rappelle Jacques à l’évocation de ses arrières grands-parents. Le marché du vin était saturé à Carcès vu le nombre de producteurs. Fernand a aussi fait du porte à porte pour livrer le vin à domicile (on n’a rien inventé !) avant de louer un local à Antibes. »
 Le domaine s’agrandit de quelques hectares, la maison de maître est acquise et René et Fernand fils prennent la main. Le premier s’occupe des cultures et investit à bon escient, le second veille sur le chai.

Jacques, le gilet jeune

La dynamique est là lorsque Jacques prend le relais en 1971. À 20 ans, il doit se faire émanciper pour parapher de son nom l’acquisition de 11 nouveaux hectares de vignes. Et signe une nouvelle révolution en créant sa propre cave au château. En 1974, « très modestement », il bouchonne ses premières bouteilles estampillées Sainte-Croix.

Son frère Christian le rejoint 7 ans plus tard et le domaine grignote alentour pour compter 75 ha. La fibre fraternelle n’a qu’un temps et les deux frérots se séparent. Christian va créer son domaine un peu plus loin, mais la propriété séculaire, bien que divisée en deux, évite la noyade dans les tumultueuses tempêtes de la vie.

En 2004, Jacques fortifie l’incursion ancestrale sur la Côte d’Azur en créant un caveau à Antibes. Quand vient l’heure de poser (un peu) les valises les enfants héritent d’un beau bébé. Mais il n’a pas encore fait toutes ses dents.


Château de Sainte-Croix, route du Thoronet à Carcès, à deux pas de la célèbre abbaye et du lac Sainte-Suzanne.
Caveau ouvert tous les jours de 9 h à 12 h
et de 14 h à 18 h. Fermé le dimanche.
Contacts : 04.94.80.79.13.
ou chateausaintecroix83@yahoo.fr
Restaurant le Patriarche, au domaine.
Tél. 04.94.77.22.82
restaurant.lepatriarche@gmail.com

Stéphane et Florence, des idées à l’appel

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Un gros investissement pour développer la cave et créer un chai de stockage des barriques. Mais Stéphane Pelepol est un fonceur. Photo Gilbert Rinaudo .

Son diplôme de viticulture/œnologie à Orange en poche, Stéphane passe par le Bordelais pour y affiner les techniques de vinification, s’inscrivant dans la volonté de la filière varoise de miser enfin sur la qualité plutôt que la production de vin en masse, de facture souvent médiocre.

« Ils étaient bien plus avancés que nous en la matière », observe celui qui, la vingtaine frétillante, rejoint sa sœur au début des années 2000.  Via de nouvelles plantations et quelques acquisitions de parcelles le duo espère atteindre les 60 ha. « Ce sera bien assez et notre volonté est aujourd’hui d’affiner notre image, notre stratégie de commercialisation voire le packaging de nos crus. De pérenniser le domaine. »

Ainsi, ces dix dernières années, la propriété va connaître un nouveau développement, malgré la sagesse de Jacques père tentant de pondérer la fougue filiale. « Je fonce, c’est plus fort que moi », lance Stéphane dans la cave en pleine restructuration, avec pour corollaire de lourds investissements.

Mais l’une de ses orientations les plus significatives est le développement à l’export, représentant aujourd’hui quelque 20 % du chiffre d’affaires. « On vend aux États-Unis, en Grande Bretagne, Suisse, Allemagne, Australie et même en Chine et en Inde. Et la participation à de grands salons permet d’élargir nos horizons commerciaux. »

Et cette façon de ne pas mettre tous les œufs dans le même panier a porté ses fruits durant la période Covid : « On ne s’en est pas si mal sorti que ça, en pouvant compenser une partie des pertes générée par la fermeture de secteurs comme la restauration. Quitte à se tourner vers la grande distribution, mais, à terme, nous voulons un marquage différent de nos vins dans cette filière pour ne pas créer de confusion dans l’esprit de nos clients. »

L’autre succès de la fratrie est d’avoir accroché les wagons de l’œnotourisme avec la création de trois chambres d’hôtes. « Le Château de Berne à Lorgues a été parmi les premiers dans ce domaine. Nous avons essayé de suivre “les gros”, avec nos moyens ». Et, loin d’une critique teintée de jalousie, Stéphane Pelepol voit plutôt d’un bon œil l’arrivée de stars mondiales sur le terroir varois.

« Ça génère une pub formidable qui profite à toute la filière. Mais le souci est qu’il y a une inflation sur le prix du foncier qui nuit à l’installation des jeunes. Il y a bien la Safer pour réguler le marché, mais la moindre parcelle en vente fait l’objet d’enchères de nombreux acquéreurs. »

Afin de boucler la boucle, le restaurant Le patriarche a ouvert sur place. « Mon ami et chef Rudy Tortora voulait revenir au pays. On lui a proposé de s’installer chez nous. Nous ne nous occupons pas de son affaire, mais sa présence est un vrai plus. Avec une cuisine soignée privilégiant des produits d’ici. »
(menu à midi à 19 euros).

La relève encore jeune

Des projets « encore secrets », sont dans la boîte. Tout comme le démarrage de la procédure de passage en bio en 2022, retardée d’une année pour cause de crise sanitaire.

Le binôme est d’autant plus motivé que la relève est là. Encore jeune, ce qui laisse du temps. Ce qui n’empêche pas Stéphane d’exprimer un soupçon d’inquiétude : « Si aucun des enfants ne venait à reprendre Sainte-Croix, ce serait pour moi un crève-cœur. On fait tout ça pour eux. »

Gageons que le livre de cette belle aventure généalogique n’en est pas encore à l’écriture de son épilogue.

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